Trois cartes à l'as et stöckr
Quand on a un peu de temps à tuer, ce qui arrive même aux plus inoffensifs d’entre vous, reconnaissez-le, que fait-on ?Est-ce qu’on se plonge systématiquement dans « Les Misérables », « Guerre et Paix », ou « Ma vie après l’île secrète de l’opération séduction academy story » ?
Ecoute-t-on d’un air inspiré du Mozart, du Beethoven, voire du Hélène Ségara ?
Non.
Quand on a un peu de temps à tuer, on joue aux cartes, au jass, à la belote, au poker, et même au bridge, si on est dentiste.
Parfois on joue aussi aux dés pour apprendre le japonais, à la pétanque pour apprendre le marseillais, ou au foot pour apprendre la comédie…
Et tous ces jeux, qui créent de la convivialité, des engueulades, et des coches sur n’importe quel morceau de papier, sont si répandus que tout le monde les pratique de temps en temps.
Pourtant, jamais on ne pense à celui ou celle (si, si, c’est possible) qui les a inventés, et franchement c’est dégueulasse.
Parce que des gars comme Victor Hugo, Molière, ou Verdi, ont tous par-ci par-là des statues en leur honneur, pour pouvoir se faire chier sur la tête par des pigeons devant tout le monde.
On a donné leur nom à des écoles tagguées de fautes d’orthographes, à des places où des amoureux se bécottent sur des bancs publics, bancs publics, bancs publics, et à des parc-jardins dans lesquels des caniches à leur mémère lèvent la patte en signe de respect.
Tout ça, alors que franchement « C'est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens »1 est beaucoup plus difficile à placer dans la conversation que « c’est à qui de faire atout ? ».
Et un « 100 pour voir, et je relance de 200 » permet de se faire plus de potes (quoique) à l’université, à l’armée, et partout ailleurs qu’un « Là tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe calme et volupté »2 et même qu’un « le poète est semblable au prince des nuées, ses ailes de géant l’empêchent de marcher » 3…
Et pourtant les inventeurs de ces jeux débiles qui nous donnent tant de plaisir sont restés inconnus. Ils ont disparu dans les oubliettes de l’histoire, où ils doivent sans doute faire des parties d’échec avec des miettes de pains…
Alors le temps n’est-il pas venu de les honorer comme il se doit ?
Les créateurs du beuzeu, du feuille-caillou-ciseau-bougie (pierre-feuille-ciseau pour les bilingues), du zig-zag-zoug, les génial créateur du jeu de la patte (jeu du torchon pour les bilingues), ou du lancer de lèvre, ne méritent-ils pas des honneurs à la hauteur de leur œuvre ?
Pas de statue, pas de lycée, pas de championnats du monde…
Rien, que pouic, je me couche, pomme avec le bour…
C’est pourquoi, en l’honneur de ces anonymes qui ont changé nos vies depuis des siècles, il est temps de rendre public l’ International Board of Stupid Games (le Comité international des jeux à la con), créé il y a quelques années avec des amis tout aussi anonymes et méritants que l’arpenteur.
Et de réunir ainsi sous cette unique bannière tous ces jeux merveilleusement inutiles mais néanmoins délicieux que chacun a un jour pratiqué avec passion…
D’une générosité de bon aloi, que je n’hésite pas à dispenser à la pelle de tout bois, je vous propose deux de ces jeux, afin d’égailler vos soirées d’été (et d’hiver, parce que franchement, je ne sais plus trop en quelle saison on est là) :
Le jeu de la patte (jeu du torchon, pour nos néanmoins voisins héxagonaux).
Ingrédient de base : un petit torchon, de l’eau. Nombre de joueurs : indéterminé. Principe : chacun presse le torchon imbibé d’eau une fois dans sa main, et en fait couler autant d’eau qu’il le souhaite, avant de le passer au suivant. Celui qui ne parvient pas à faire couler une seule goutte est éliminé, le vainqueur étant le dernier encore en jeu.
Le lancer de lèvre
Ingrédient de base : une lèvre (buccale je précise), une table. Nombre de joueurs : indéterminé. Principe : poser l’avant de son menton contre le rebord d’une table, la lèvre inférieure juste à la hauteur du plateau. Projeter ladite lèvre inférieure le plus loin possible en avant sur la table, sans décoller le menton. Marquer le résultat. Mesurer, et applaudir celui ou celle qui aura lancé sa lèvre le plus loin…
Et je suis sûr que des jeux à la con, il y en a des milliers, encore, alors n’hésitez pas à proposer les vôtres à l’International Board of Stupid Games, et rendez ainsi honneur à tous les inventeurs oubliés de jeux éternels…
« Pourquoi » révolté, par arpenteur, joueur depuis 1971
©photo arpenteur2007 - venise
1. Molière (1622-1673), La critique de l’école des femmes (1663)
2. Charles Baudelaire (1821-1867), L’invitation au voyage, Les Fleurs du Mal (1857)
3. Charles Baudelaire (1821-1867), L’albatros, Les Fleurs du Mal (1857)
Oui, sur les virgules on apprend plein de trucs, wow, comment c’est trop le kif !