Bien dégagé derrière les oreilles
J’aime parce que je peux mettre une jolie pèlerine L’Oréal. Je le vaux bien.
J’aime parce que je peux coincer ma nuque comme dans une guillotine et me faire doucher à l’eau glacée ou bouillante. « Ca va la température ? ».
J’aime parce que je peux rester penché en arrière, couvert de shampoing pendant qu’elle passe 5 minutes à parler choucroute avec sa mère au téléphone. Ca me coule dans le cou.
J’aime parce que je peux traverser le salon avec une cape qui m’étrangle et m’asseoir devant un grand miroir qui me rappelle combien j’ai l’air con. Sous le regard des passants puisque évidemment je suis en vitrine.
J’aime parce que je peux faire semblant d’écouter les banalités dont on m’abreuve les oreilles tout en les dégageant.
J’aime parce que je peux essayer d’avoir l’air viril en retenant mes larmes quand on tire sur les petits cheveux qui sont directement liés aux glandes lacrymales.
J’aime parce que je peux lire des magazines « people » à toute vitesse en faisant semblant de ne pas m’y intéresser, comme vous.
J’aime parce qu’on me demande mon avis sur le brushing de ma voisine quand elle a fini, alors que je m’en fous comme du dernier bouton d’acné de Miss Suisse.
J’aime parce qu’on s’extasie sur mes cheveux blancs qui progressent plus vite que le H5N1. D’ici qu’on me propose une teinture.
J’aime parce qu’on essaye de m’enlever les cheveux que j’ai dans le cou avec une brosse, alors qu’il me faudrait un kärcher.
J’aime parce qu’on me dit : « vaut mieux que ça pousse vite que d’être chauve », oui surtout pour ta caisse.
J’aime parce qu’on me montre l’arrière de mon crâne avec un miroir. Ben oui, je le vois jamais sinon, et il me manque un peu parfois.
J’aime parce qu’en sortant ça se voit, et qu’à coup sûr quelqu’un va me dire : « mais tu es tout beau dis donc ». Pourquoi, avant j’étais moche ?
J’aime pas aller chez le coiffeur, en fait.
C’est une coiffeuse en plus.
« Humeur » capillaire, par Arpenteur, perruquier depuis 1971