Moment de solitude 2
Imaginez une auberge de jeunesse, lieu convivial par excellence.
Si convivial qu’on a pris soin de la construire en bois, avec des murs en papier à cigarette (pas en feuilles à rouler, je précise).
Si convivial qu’on a placé les lieux d’aisance (et ce n’est pas la terrasse ensoleillée), juste à côté de la petite salle à manger commune.
Esprit communautaire quand tu nous tiens…
L’être humain standard fait probablement la grosse commission à la Migros le dernier samedi après-midi du mois 180 fois par année au moins. Dans 98% des cas (les experts ne sont pas sûrs des chiffres, mais admettons) cela se passe bien tranquillement chez soi, et cela ne donne lieu à aucun événement particulier (sauf quand il s’agit de Miss Suisse, car dans ce cas, le Machin de ce matin en fait la première page).
Reste donc par hypothèse 2% des cas…des cacas même…
Imaginons donc le pire. Un gros besoin genre qui vous torture depuis une heure les intestins, et qu’enfin rentré à l’auberge, vous allez pouvoir soulager. A peine installé (normalement selon une loi de Murphy, c’est occupé, et il faut encore attendre un bon quart d’heure, mais pas toujours). A peine vous êtes installé donc, quelqu’un essaie d’entrer. Et là, bonne nouvelle : vous avez pensé à fermer à clé.
Du coup, un peu gêné quand même, vous essayez de faire au plus vite. Et chaque minute dure un siècle, rien ne vient, et vous « restez le cigare au bord des lèvres » (Proverbe Etazunien, Bill Clinton, 1997). Dans l’intervalle bien sûr, pas question de vous lever et de libérer le trône. Derrière la porte, vous entendez tourner les pages d’un journal à la salle à manger (c’est pas celui qui est dedans qui est censé lire normalement ?).
Après un bon quart d’heure de torture tant morale que physique, vous parvenez enfin à vous soulager, dans la douleur, en émettant un incontrôlable soupir, et un « plouf » magistral.
C’est à ce moment là précis que vous constatez avec effroi qu’il ne reste que quelques feuilles de papier et qu’il n’y a pas de recharge. Keep cool. Vous faîtes de votre mieux avec les doigts application, et tirez l’eau.
Après avoir remonté votre pantalon, vous vous retournez, et là… c’est le drame. Vous remarquez, sans en être vraiment étonné, que la cuvette est à la limite de déborder. Petite prière silencieuse qui vous permet d’entendre que dans la salle à manger, quelqu’un grignote des chips.
La cuvette ne déborde pas. Merci mon dieu. Mais il s’en faut de peu, et elle ne se vide plus…
« Crr, crr, crr,… » les chips continuent à se faire lentement massacrer juste derrière la porte...
Tentant le tout pour le tout, vous prenez la brosse et essayez de déboucher tout ça. La cuvette se vide avec une lenteur désespérante, et vous répétez l’opération plusieurs fois, à grand bruit.
Touillage, tirage de chasse. Touillage, tirage de chasse. Etc. Ce qui vous laisse largement le temps de constater que jamais auparavant cela ne vous est arrivé, lorsqu’il n’y a personne qui lit le journal et mange des chips derrière la porte.
Après 20 minutes (ce coup-ci les experts sont sûrs des chiffres), vous parvenez enfin à déboucher tout ça.
Il ne vous reste plus qu’à sortir, et à affronter le sourire du lecteur-grignoteur.
Pétrifié de honte, vous regagnez votre chambre au bout du couloir, avec ce qui vous reste de dignité.
Et c’est là que votre amoureuse vous dit à moitié endormie sous la couette : « Tu as entendu ? quelqu’un a bouché les toilettes on dirait… »
Vous vous couchez sans un mot. C’est probablement un cauchemar.
« Flashback » déculotté, par Arpenteur, plombier depuis 1971
(c)photo arpenteur2004