Le Colonel et le Président
Il était une fois un Colonel qui avait pris goût au camping lors de son service militaire. Ancien capitaine il décida un jour de devenir colonel. Pourquoi pas général ? me direz-vous. Eh bien comme ça, parce qu’il est de gauche, et qu’à gauche le Président s’appelle Premier Secrétaire, et le Général s’appelle Colonel, sans doute.
A grands coups de pelle, pas toujours en plastique, Le Colonel est vite devenu le patron du bac à sable et y a enterré tous ses opposants.
Puis, assis sur ce tas de sable judicieusement situé sur un océan de pétrole, il s’est laissé dorer au soleil pendant quarante ans, changeant à l’occasion de casquette, et de lunettes noires.
Comme tous les amateurs de lunettes de marque, il a longtemps fait partie de la jet-set. La jet-set, ce sont ces gens qui font la bombe dans les avions, je crois…
Puis petit à petit, tout le monde s’est habitué à lui, et à ses costumes un peu excentriques. « Il est un peu facétieux, mais pas si méchant » disait-on, et surtout, on aimait beaucoup son tas de sable, ou plutôt ce qu’il y avait dessous.
Le Colonel a fini par se faire inviter volontiers un peu partout, dès qu’il y avait une petite fête. Comme souvent dans la jet-set, certains se la jouent « popu », et notre ami le Colonel aimait voyager léger, et loger dans les campings.
D’aucuns l’ont aperçu au camping de l’Elysée, s’extrayant de sa tente au petit matin, en slip, le PQ à la main, la brosse à dent à la bouche, crachotant son pepsodent ultra white dans la pelouse, pendant que le tenancier faisait son jogging autour de sa tente.
On l’a aussi aperçu lors d’une petite sauterie en Italie, où le gérant du camping de l’Aquila, lui avait proposé de venir passer un week-end avec ses concitoyens, grands amateurs de camping eux aussi, selon lui.
Comme dans bien des familles aisées, les enfants se révoltent un peu. Le fils du fameux Colonel détestait le camping, et voyageait, lui, plutôt de palace en palace, avec une suite de serviteurs plus ou moins dociles. Au moindre petit écart, le petit personnel se voyait violemment réprimandé, voire frappé, laissant presque impunément des taches de sang sur les tapis délicieusement moëlleux et sans acariens des palaces 6 étoiles. Les cris des serviteurs troublaient parfois le sommeil des autres clients des palaces, les mettant quelque peu mal à l’aise. Il fut décidé de porter plainte contre le fils du Colonel campeur, habilement prénommé Hannibal…
Quelques flics bien intentionnés, et sans doute moustachus, l’ont alors menotté et embarqué pour une petite nuit dans un poste de police à côté d’une banque, puisque dans les villes qui ont un jet d’eau, tout est à côté d’une banque.
Le papa d’Hannibal en a été particulièrement fâché. Il était Colonel, quand même, et ce n’était pas un petit appointé de gendarmerie qui allait lui en montrer. Peu importe si celui-ci avait appliqué la loi, la hiérarchie reste la hiérarchie, bon sang de bois !
Afin de bien montrer qui était le patron, le Colonel a commencé par faire disparaître la famille des domestiques un peu douillets. Puis il a fermé le robinet à pétrole, mais ça n’a pas duré, car il s’est vite rendu compte que faisant cela, il n’aurait plus les moyens de s’acheter cette nouvelle paire de lunettes Tom Ford qui ont vraiment trop la classe.
Il a donc décidé de prendre en otage des hommes d’affaires, venus lui faire un prix d’ami pour quelque chose qu’il pouvait sans doute payer le double. Ces commerciaux venaient du pays qui avait osé appliquer la loi envers son fils comme envers n’importe quel Desbaillets, dont le père n’a pas gradé à l’armée et déteste le camping. Pour faire bonne mesure, le Colonel décida également de rompre toute relation commerciale avec ce pays, qui devait être rayé de la carte, et partagé entre ses voisins.
Alors, un an plus tard, le Président démocratiquement élu de ce pays où l’on vote pour tout et n’importe quoi, voire plus si on a un peu de temps, a pris un petit avion un peu pourri pour aller faire une visite de courtoisie au Colonel.
Après d’âpres négociations, le Président du petit pays a obtenu de pouvoir faire des excuses au Colonel et à son fils, pour, je cite « cette arrestation injuste » et a également obtenu la mise sur pied d’un tribunal arbitral, pour que son pays soit sévèrement jugé pour avoir ainsi appliqué sa propre loi.
Satisfait, le Colonel a promis de libérer les criminels qu’il retenait, mais quand il aurait signé tous les documents. Le Président est reparti tout guilleret, avec son avion, qu'il a renvoyé quelque jours plus tard chez le Colonel, pour chercher les bagages des otages (Swiss Force One est un petit avion, je vous l'ai dit).
Puis le Colonel a organisé une petite fête pour le retour d’un vieil ami de la jet-set, qui avait passé quelques années en Ecosse pour des raisons de santé.
Le lendemain, il a pris son plus beau stylo, un Mont-Blanc plaqué or, échangé contre des infirmières bulgares par le tenancier du camping de l’Elysée, qui lui même avait subrepticement emprunté ce stylo au gérant d’un camping roumain. Le Colonel a rédigé un courrier à l’ONU pour demander le démantèlement du petit pays en question, puis a oublié les otages dans un coin, ce qui est très cruel, considérant qu’ils n’avaient plus leurs affaires.
Le Président fut accueilli en héros autour du tourniquet à bagage de l’aéroport, et d’aucun n’hésitèrent pas à dire qu’il faut parfois « oser regarder le bédouin dans les yeux et lui faire confiance »…
Mais il faut reconnaître qu’il est très difficile de regarder dans les yeux un bédouin qui porte des lunettes noires, surtout pendant qu’il est en train de te la mettre dans le cul…
« Humeur » fabuliste, par arpenteur, ridicule depuis 1971
(c)photo arpenteur 2006 - grangettes, suisse
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