Les portes du pénitencier
Souvent les enfants noient leurs parents sous un flot ininterrompu de paroles, leur racontant plein de trucs super passionnants, pendant que les parents essaient péniblement de faire quelque chose, comme par exemple les courses, trouver une place de parc, ou se tripoter dans un coin.
Et là, les parents ont tous la même parade : toutes les deux ou trois phrases, ils reprennent les derniers mots de l’enfant d’un ton enjoué, surpris et enthousiaste, afin de lui montrer qu’ils l’écoutent : « ah oui ?!! …des pop-corn au chocolat ?!! » (les points d’exclamation sont là pour montrer le ton enjoué surpris et enthousiaste, utilisé par la maman le parent qui essaie tant bien que mal un parcage latéral pour la 8ème fois). Ca peut aussi être « …avec son vélo ?!! non ?!! ». Ou encore « Ta petite sœur est toute bleue ?!!! c’est très joli le bleu !! », cette phrase étant souvent suivie après une petite pause d’un « Putain mais t’es con ou quoi, lâche lui le cou !!… ».
Mais au moins ça montre à l’enfant qu’on est attentif et qu’on l’écoute.
Et si on est attentif avec ses enfants, ça évite que lorsqu’ils deviennent moins enfants, et un peu plus cons (ben oui, plus t’es long, plus t’es con, non ?), ils fassent trop de conneries. Comme exploser le forfait du téléphone en appelant pour la Starac, se faire des trous dans la peau avec des seringues pleines de drogue, ou bien tirer le sac d’une grand-mère car le vintage ils kiffent grave. Et par conséquent, même pas besoin de leur faire peur en leur expliquant que si on n’est pas sage on risque d’aller en prison, ou au concert d’Hélène Ségara (qui ferait bien de s’égarer, si possible dans la jungle et sans vaccins, mais là, je m’égare)…
En plus ils le montrent assez à la télé (Journal de TF1, reportages de M6, Prison break, Fort Boyard, Les coups de cœur d’Alain Morisod) la prison c’est dur, et c’est rempli de méchants. C’est un truc où il est aussi nettement plus facile d’entrer que de sortir.
Et déjà pour entrer, faut faire des efforts. Il faut se faire tatouer les plans partout sur le corps, pour être sûr de retrouver sa chambre, qu’on appelle cellule, pour ne pas confondre avec le home. Il faut en plus être souple, car si ta chambre cellule est dans la partie du plan qui est entre tes omoplates, tu as vite fait de te perdre, et de te retrouver dehors, ou dans un conduit d’aération, et du coup, tu manques le souper, et c’est vraiment pas de bol parce que ce soir il y avait salade de cervelas.
En prison il faut aussi avoir de l’équilibre, si on veut conserver un minimum d’hygiène, car le sol des douches est jonché de savons que personne n’ose ramasser. Et en plus de tordre les chevilles, le savon ça glisse. Bon c’est vrai qu’une petite foulure, c’est pratique pour aller voir l’infirmière qui est super moche et moustachue, mais au moins c’est une femme. Le problème c’est qu’elle risque encore de te faire une piqûre, et que depuis ton tatouage architectural, les aiguilles, tu en as un peu marre.
Mais la prison a aussi des avantages. Par exemple, tu deviens très fort aux jeux télés, tu ne manques plus aucun épisode des feux de l’amour, et enfin tu peux voir toute la série des Derrick en intégralité. Et puis tu peux aussi faire de la musculation et finir en meilleur santé que tu es entré…Sauf si tu te fais piquer avec une pointe en fer par quelqu’un d’autre que l’infirmière…
Non vraiment, la prison, c’est pas l’endroit où j’irai faire un break.
Surtout que je joue très mal sur le béton, et que mon service laisse à désirer.
« Virgule » éducative, par Arpenteur, geôlier depuis 1971
(c)photo arpenteur 2003