Sektiooooon, r'pos !
Voilà un an, j’ai pris mon paquetage, et suis allé me faire « libérer de mes obligations militaires ». Je l’avais attendu longtemps cet « ordre de marche » form. 7.3/IVf.
J’ai jeté dans de grandes caisses mes vêtements, ma gamelle, mon masque à gaz, ma gamache lumineuse, mon fusil, mon casque, et plein d’autre choses dont je ne savais même plus le nom, et encore moins l’usage…
Ça faisait exactement 16 ans et 4 mois que j’attendais ce jour. Non pas que j’étais soldat professionnel, non, j’étais juste Suisse. Je le suis encore d’ailleurs, mais trop vieux pour être utile à la défense de la patrie (l’ai-je d’ailleurs été un jour ? utile… pas moins vieux).
J’avais découvert ce monde étrange de gris-vert et de petits roquets moustachus qui ne tiennent debout que par leur uniforme, lors du recrutement.
Le recrutement c’est simple : c’est une journée où tu te retrouves entre mecs de 18 ans à faire semblant d’être nul en sport, pour ne pas être pris dans une unité trop dure, et ensuite tu vas boire dans les rues en mendiant de l’argent aux passants. Si tu te sens mélomane, tu peux même prendre un tambour pour faire ça. Et dans ton groupe, il y a toujours un qui, soit est mélomane (quoique), soit aime bien taper sur des trucs, ce qui est plus fréquent.
Quelques mois plus tard, tu fais ton petit sac. Trois slips, ça suffit, il paraît que le reste c’est fourni. Tu prends le train gratos, et tu te retrouves à l’autre bout du pays. Bon c’est vrai qu’en Suisse, ça fait pas super loin non plus, mais ils parlent pas comme nous là-bas, et ça fait peur. On dirait qu’ils crient tout le temps. « Rekrüe Arpenteur, daher !! ». Ah oui, tiens, ils crient tout le temps.
On te donne des jolis habits en laine verte (oui ça date quand même, et on a jamais été au top de la technologie), et on t’apprend à dire bonjour à des arbres, à des poteaux, à des remorques, à des abrutis, et même à des grosses nouilles.
Tu apprends à dormir à 100 par chambre, avec 6 douches, tu t’habitues à plein de nouveaux mots comme Fassmannchaft, Tagwach (qui se crie uniquement), Sammlung, Planton batterie 1, Pinzgauer (pinz pour les intimes), exercice de réaction, et 2DM. Après tu découvres les joies du camping, de la marche de nuit en forêt (voilà pourquoi tu as un casque d’ailleurs), du tir, du cirage, du lunch, et de la garde. Bon c’est pas toujours aussi marrant, car des fois tu as des sorties au village, où il n’y a qu’un seul bistro, dans lequel dorment les officiers, et de toute façon tu dois rentrer à « vingt-deux zéro zéro », et après celui qui dort en-dessus de toi vomi sa bière sans même se réveiller…
Tu apprends à aligner 100 capuchons de gourde dans le même sens, et une fois par semaine tu étales tout ton matériel dans la cour, de préférence quand il pleut, pour bien montrer que tu n’as rien perdu, sinon c’est SBG (« Essebégué », pour Suchen bis gefunden en français fédéral), pour tout le monde. Attention en particulier aux sardines de tente. Merci.
Tu fais exprès d'être nul (et des fois c'est super dur, si si, je vous jure) et de ne rien comprendre, sinon on te force à devenir chef, et tu dois te taper 200 jours en plus. Alors finalement ne deviennent chefs, que ceux qui ont pas pensé à être plus nuls que toi, et du coup, ce sont ceux qui sont naturellement nuls. Mais chhht, faut pas le dire, il y a des espions chinois et américains qui lisent et ça peut être dangereux... (oui, l'espion du Liechtenstein a congé aujourd'hui, pour un match de foot du fils de sa nièce.)
Et puis un jour, après que tu les aies tous comptés un par un sur les cloisons des toilettes, tu arrives à ce 118ème, et tu rentres chez toi...
Jusqu’à l’année d’après, où on te reconvoque, pour trois semaines de vacances campagnardes, pour répéter tout ce que tu as appris (d’ailleurs ça s’appelle « cours de répèt’ »), et ça consiste en particulier à réapprendre à dormir dans des abris anti-atomiques mal aérés avec beaucoup d’hommes ivres. Et quand enfin tu as passé 300 nuits comme ça, étalées sur une quinzaine d’années, on te convoque pour te « faire libérer de tes obligations militaires ». Plus personne ne compte rien. Pas même les sardines de tente...
Tu jettes tout. « Non, merci, je ne garde pas le ceinturon. Le fusil non plus, non, non, vraiment pas, désolé »… Et là tu te dis que tu sais pourquoi tu payes des impôts…
Finalement j'aurais peut-être dû le garder, le fusil…
« Flashback » troupier, par Arpenteur, civil depuis 1971
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