Histomaton numéro "i majuscule"

Publié le par Arpenteur

Le passé a ceci de mystérieux, qu’il est assez mystérieux.

Et quand on tombe sur une photo, au fond d’un grenier poussiéreux, dans un tiroir sentant le renfermé et la vieille culotte, coincée entre les pages jaunies d’un livre, en général une bible, on se demande qui ça peut bien être. Et qu’est ce qu’ils ont foutu pour se retrouver en photo à une époque où les appareils photo étaient moins répandus que les téléphones, et où le happy slapping était éventuellement le nom d’un cocktail servi au casino de Gougeon-le-Vigousse, mais rien d’autre.

Grâce à des études d’histoire et d’archéologie particulièrement inexistantes, j’ai pu répondre à la question clé « mais qui sont ces gens, et que se passe-t-il ? », reconstituer certains évènements, et permettre ainsi de rendre le passé moins mystérieux, donc en fait moins mystérieux.

La scène se déroule au 18 de la rue Francis Cabrel à Crapotielles. Il est 13h16, un mardi, et il fait beau. Nous voyons là Jacques et Catherine, qui se faisait surnommer Kate, parce qu’elle se la pétait un peu.

Jacques et Kate sont mariés depuis 21 ans, et n’ont jamais eu d’enfants, ni beaucoup de goût vestimentaire. Aucune fantaisie, toujours vêtus de noir comme si ils portaient le deuil de leur télévision implosée. Ce qui était en fait le cas, mais ils n’osaient en parler à personne, c’était trop la honte de ne pas avoir de télé. Ce deuil douloureux avait au moins eu l’avantage de les faire sortir un peu, comme au temps de leur folle jeunesse, quand ils s’étaient installés en ville, et dansaient parfois jusqu’à 18h30 à la Taverne de la Gare.

Le dimanche précédent, ils s’étaient rendus au Multiplex de l’Avenue du 9 juillet, pour la séance de 14h30, et s’étaient une fois de plus demandé pourquoi les séances de l’après-midi étaient appelées des « matinées ». Ils ont pris un coca chacun, même s’ils préféraient le pepsi, mais le cinéma en question n’en vendait pas. Avec une grosse bassine de pop-corn au caramel, ils s’étaient installés dans la salle 12, qui rapidement avait été plongée dans le noir, pour une petite séance de publicité. Jacques pensa d’ailleurs que ce nouveau 4x4 serait idéal pour se rendre au travail. En effet, il était comptable chez Comptinvest, et la rampe du parking souterrain de l’immeuble dans lequel se trouvait son bureau était plutôt raide.

Dès que le film commença, ils se laissèrent emporter par l’histoire. Il faut dire qu’ils étaient bon public : ils ne parlaient pas, restaient assis pendant toute la représentation, et mangeaient leur pop-corn avec le plus de discrétion possible.

Sur le chemin du retour, Kate fit quelques reproches à Jacques : « tu ne m’aimes pas comme ça toi, notre histoire n’est pas aussi belle, jamais tu ne ferais de tels sacrifices ». Outré que l’on remette en question à ce point ses sentiments, Jacques ne dit rien, car il savait depuis 21 ans que quoi qu’il dise, il aurait tort. Ils commandèrent une pizza hawaïenne pour deux, et mangèrent en silence devant les restes noircis de leur téléviseur.

Cherchant le sommeil, Jacques trouva en fait la solution. Plutôt que de plaider sa cause devant Kate, il allait agir. Dès le lendemain matin, il se fit porter pâle, et se mit au travail. Il lui fallait quelques planches de bois, un bon marteau, obstruer toutes les bouches d’égout du quartier, et un plan des canalisations, qu’il trouva sur le site internet de la commune.

Le mardi à midi, il rentra exceptionnellement manger avec Kate. Celle-ci était toujours aussi boudeuse. Juste après le Kinder Pingui qu’ils mangeait chaque jour au dessert, Jacques qui avait mis son plus beau costume noir, coiffa sa casquette du dimanche, prit sa femme par la main, l’emmena devant la fenêtre, et d’un geste théâtral, il lui montra la rue : « Surprise ! ». Interloquée, Kate ne pipa mot, ni personne d’autre d’ailleurs. Elle n’aimait pas ça.

Son mari lui banda… les yeux, la fit descendre au rez-de-chaussée, et l’installa sur la petite barque qu’il avait construite, la veille. Il lui releva le foulard sur le front :

- Voilà c’est pour toi, dit-il en faisant avancer son navire dans la rue inondée. Je ne renverse peut-être pas des montagnes, mais je peux te donner l’océan. Ne dis pas que je ne t’aime pas après ça.

Kate était tétanisée de peur. Elle ne savait pas nager. Jacques reprit :

- Allez, arrête de faire la gueule, merde. Ecarte les bras, n’aies pas peur, tu peux crier… Je suis le roi du mooooonde…

« Histomaton » naufragé, par Arpenteur, archéologue depuis 1971

(c) photo trouvée dans les tiroirs de http://lefildutemps.free.fr

Publié dans Histomaton

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N
Excellente l'histoire... un passage pub pour kinder pingui ;o))) Continue continue... trop top...
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B
J'suis d'accord avec toi : Venise, y'a trop d'immigrés américains et ça gâche tout !
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T
Ce gars là fait vraiment n'importe quoi par amour. Faut lui dire. C'est pour ça qu'il rame.
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M
Quel homme ce Jack ! Je vais de ce pas dire à mon mec (enfin, quand j'en aurais un) que lui, ne m'aime pas comme ça, que notre histoire n'est pas aussi belle  etc "
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S
Venise c'est plus c'que c'était.
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