Poussez Madame...

Publié le par Arpenteur

Ca commence toujours comme ça. Tu reçois un message qui dit : « Barnabé est né ce matin à 9h14. Il pèse 3kg216, c’est le plus beau et la maman se porte très bien ».

C’est pas trop un scoop, parce que si le père t’envoie ce genre de message, c’est que tu étais au courant depuis quelques mois qu’il devait supporter les humeurs de sa femme, et attendait aussi impatiemment qu’elle, de pouvoir SMSer la bonne nouvelle.

Parking, réception, tirage du numéro de chambre, ascenseur, odeurs, blouses, chariot de vases, lits, patients au pas hésitants tirant leur sang sur roulette, et portes en couleur.

Tu frappes à la 326, et tu te faufiles parmi des gens inconnus, entre la grand-mère, l’oncle, le cousin, la collègue, et les copines du fitness, pour essayer d’atteindre le lit, seul moyen d’être sûr que tu ne t’es pas trompé de chambre.

La maman à l’air d’avoir passé cinq semaines sans dormir, plus ou moins enfoncée dans un lit trop grand pour elle, dans une chemise de nuit en papier jaunâtre qui sera un jour recyclée pour faire un bloc de feuilles A4 de grammage standard à carreaux de 4mm. Les cheveux en bataille, elle sourit béatement comme si elle s’en foutait d’avoir une coupe de cheveux plus proche de Bernadette Chirac au saut du lit que de Jennifer Aniston à la première de son prochain film. Elle ouvre en disant « mais comme c’est chou » les paquets que les visites lui apportent. Son allure en fait elle s’en fout.

Et elle a raison.

La famille et les amis qui défilent ne lui jettent que de brefs regards. A peine entrés dans la pièce, ils cherchent éperdument le berceau en plexiglas, pour essayer d’apercevoir, écrasé sous une couette qui semble géante mais qui en fait n’est qu’un coussin, le visage de Barnabé. Encore fripé et bouffi par l’épreuve qu’il vient de subir, celui-ci s’en fout des « mais qu’il est beau » qui pleuvent sur lui, et essaie tant bien que mal de récupérer, quand il n’est pas affamé.

Dans un coin, près de la fenêtre, tu devines le père. Le regard perdu dans le vide, il semble se demander qui sont ces gens. Quelques-uns le remarquent et le saluent vaguement avant de reprendre l’interrogatoire serré de la maman, l’œil rivé sur l’aquarium dans lequel dort Barnabé : « et il pèse combien ? tu as eu une péridurale ou pas ? c’était pas trop long ? tu trouves qu’il ressemble à qui ? pourquoi tu ne lui as pas donné le prénom de ton grand-père ? les contractions ont commencé à quelle heure ? et Julie, c’est pour quand elle ? tu penses allaiter longtemps ? il a fait une jaunisse ? vous allez changer de voiture ? etc. etc. ».

Tu félicites le père, qui sourit béatement. « C’est moi qui lui ai donné le bain » te répond-il, les yeux brillants. Tout le monde l’ignore, mais lui il s’en fout.

Et il a raison.

J’aimerais bien qu’un jour on m’ignore pour ça…

« Virgule » démographique, par Arpenteur, sage-femme depuis 1971

(c)photo arpenteur2005

Publié dans Virgules

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L
La dernière phrase est magnifique. 'tain.<br /> Je découvre ton blog avec grand grand plaisir.<br /> Bon, maintenant, je retrousse mes manches et m'en vais prendre tes archives à bras-le-corps.
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B
En attendant je peux t'ignorer pour autre chose si tu veux, suffit de me donner un motif valable.
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V
Bien cool ton blog ! Continue !<br /> Et viens voir le notre (pas le même genre mais tout aussi sympa...)<br /> http://leszerossontcreves.over-blog.com/
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M
Toutes les mères ne mettent pas des chemises de nuit de maternité avec des ours dessus, et tous les pères ne sont pas handicapés dès qu'il s'agit de s'occuper de leur nouveau-né... Moi, je connais quelqu'un qui avait pris le temps de se maquiller et de se laver les cheveux avant d'aller à la maternité pour accoucher!<br /> Si tu passes sur Paris...
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L
Mimi> Je ne peux pas te donner tort sur ce point, en effet... <br />  
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