L'essaim Valentin
Il y a des dates comme ça, qui dégoulinent de miellitude, et de consumérisme béat. Tellement bien amenées, que personne ne peut y échapper, personne ne risque de l’oublier, et surtout pas la partie de la population qui met de l’after-shave, des boxers kangourous, et qui a du poil aux pattes à défaut d’en avoir au cul pour dire stop.
Aucune chance de se débiner, ou d’ignorer cette date. Il faut prouver son amour, de façon originale, car le moindre oubli, le moindre écart par rapport à la perfection dont nous abreuvent la publicité, la télévision et le cinéma, peut totalement mettre en péril un couple. C’est comme si on joue bien toute la saison, on a des résultats, le public est content, les caisses du club se remplissent, meilleure défense, meilleure attaque, on se qualifie pour la finale, on est favori, et là, paf, une mauvaise glissade à l’entrée du magasin de fleur, et on perd le match.
Combien d’insomnies, de stress, de recherches désespérées dans les commerces pour trouver la surprise qui sort de l’ordinaire. On les voit errer dans les rayons qui débordent de rouge et de cœurs en velours, hésitant entre le parfum préemballé dans un carton couvert de petits cupidons, le petit bijou qui veut dire toujours, et le dernier livre de son auteur préféré mais ce n’est pas vraiment adapté pour ce genre de fête. Certains se creusent la tête pour trouver la dédicace idéale à publier dans le journal local ou à faire passer à la radio avec leur chanson. Certains sont tentés par un ensemble de lingerie, mais ça risque d’être trop révélateur des réelles intentions.
Parce que les réelles intentions de tous sont celles-ci : j’aimerais pouvoir encore baiser le reste de l’année, et j’aimerais commencer ce soir, merci.
Et combien de femmes qui passent la journée à se demander comment elles vont bien pouvoir faire pour éviter de passer à la casserole, surtout que pour une fois c’est lui qui se met aux fourneaux. Combien de jeunes filles au sourire jaune qui jettent piteusement l’emballage du cadeau, rassurées qu’il y ait au moins pensé, même si franchement, s’il avait oublié ce serait vraiment un gros débile, qui ne serait pas capable de reconnaître un terrain de foot au milieu d’une cabine téléphonique. J’imagine facilement aussi la colère de certaines autres parce qu’il n’a pas pensé à cette petite bague qu’elle lui avait montré dans la vitrine d’une bijouterie juste avant les vacances d’été « vraiment tu ne m’écoute jamais, je me demande sérieusement si tu m’aimes. Je ne crois pas qu’on ait vraiment un futur tous les deux. Je ne sais pas ce que tu en penses, mais c’est quand même pas dur de me montrer une fois par année que tu tiens à moi, merde », et le bouquet de fleur qu’il trouvait vraiment joli, qu’il avait choisi avec tout l’amour du monde, du plus profond son cœur et de son âme, d’être jeté par terre et piétiné par une furie en pyjama pilou-pilou dépareillé.
Pourtant ils s’aiment. Tous. Le plus sincèrement du monde.
Ces vitrines qui débordent de mièvrerie amoureuse, n’ont de romantique que les petits cœurs dont elles croient s’orner et donnent la nausée à ceux qui sont seuls, et aux rares qui parviennent à échapper à la pression.
Le mercredi, j’ai sport, mais là non. Décision a été prise à majorité contre moi, qu’aucun d’entre nous ne pouvait se permettre de venir faire du sport un 14 février.
Et là, une fois de plus, j’ai apprécié ma chance, l’immense chance que j’ai de savoir que l’Arpenteuse, si je faisais quelque chose de particulier ce jour là, m’égorgerait avec ses dents, puis dépècerait mon corps avec un coupe-ongle, avant d’aligner chaque petit morceau sur un bout de fil de fer barbelé, et de le tirer derrière sa voiture jusqu’à Capri, puisqu’on sait bien que c’est là que tout fini…
« Humeur » nauséeuse, par Arpenteur, amoureux depuis 1971 ( j'aurais pu mettre son prénom, mais je serais rentré dans le jeu, et elle m’en aurait voulu, et puis… suis trop un rebelle)
(c)photo arpenteur2004