C'est "off"
Rideau. Ca y est, ça devait arriver un jour. Je baisse le rideau de fer. Je tire une révérende, ce qui ne veut pas dire que je rentre dans les ordres. Je pose les plaques. Je rends mon tablier « Charlie Brown tout nu ». Je me déclare fort fait mais je commande quand même un dernier calice, jusqu’à la lie. Je proclame la fin des haricots. Je me cartonne de rouge, et je rentre au vestiaire, sans même un regard pour cette coupe tant convoitée. Du rouleau je vois le bout. Je jette l’éponge, et l’eau du bain. Je me défile à l’anglaise. J’arrête mon char Ben-Hur, en queue de poisson, dans un nuage de poudre d’escampette.
Terminus tout le monde descend.
Stop, feu rouge, et « cliquer sur démarrer pour arrêter ».
Là, normalement la foule en délire se met à hurler. Les hommes tombent des nues et les femmes en pamoison, même si l’inverse serait pas mal. C*NN ouvre ses *breaking-news* avec un logo qui fait peur comme une histoire d’ogre quand on a quatre ans. Partout les gens de l’internet mondial, et quelques autres aussi, dont un plastifieur ambulant, supplient : « Non arpenteur ! Ne pars pas, reste, s’il te plaît, on sera gentils, on te versera des millions tous les mois pour que ta vie soit faite d’amour, de femme brune, de bières blondes, de soleil, d’amis, de chocolat, d’eau fraîche, d’une intelligence supérieure dans un corps de rêve, de voyages, et d’écriture de temps en temps mais pas trop». Certains sautent sans hésiter de leur chaise comme ça, d’un coup d’un seul pour s’écraser platement sur le parquet de leur salon, et d’autres se mettent à écouter des disques d’Hélène Ségara en boucle. Le désespoir est absolu, intense et d’un magnifique camaïeu de bleu. Et c’est là que l’arpenteur, se lève, beau comme un Johnny Depp déguisé en Dieu grec, et juste, d’un geste auguste, il apaise la foule. Le silence s’installe. Seul le claquement des dents de ces millions de personnes, rythme cette angoisse insoutenable, cette extatique douleur. Quelques sanglots étouffés s’échappent, et certains gros malhonnêtes reniflent ostensiblement. Ca embaume la sueur froide. L’arpenteur reprend :
Il est temps. Arrêter. Partir. Loin.
Ca et là des corps s’effondrent sur d’autres, lourds comme des chevals morts. Des femmes arrachent le cœur des enfants à mains nues pour s’en faire des boules quiès, des hommes se coupent le zigouigoui avec la clé de leur 4x4, et se l’enfoncent dans les oreilles. Personne ne veut plus écouter, personne ne peut plus souffrir ce qu’il a entendu. Le ciel s’obscurcit comme s’assombrit le destin funeste du blogomonde. Les nuages s’amoncellent comme des adolescents autour d’un nokia neuf. La voluptueuse et luxuriante voix de l’arpenteur prend à nouveau possession du vide qui semble aspirer le grand Tout, et la foule avec :
Partir c’est mourir un peu, voire beaucoup si l’avion tombe, si les petites bêtes mangent la grosse, ou si on joue à « c’est toi l’otage ».
Je pose mon téléphone, mon ordinateur, ma cravate et mon quotidien.
Je pause ces maux, pour cueillir de nouveaux mots. Je me laisse le temps de découvrir très, et trop, brièvement un nouveau continent, et je vous laisse le temps de fouiller les archives pour apaiser votre état de manque. Et prenez le ce temps… Je vais prendre le mien, si rare, si bref.
Ca renifle à tout va, les gens pataugent jusqu’aux cuisses dans un lac de larmes, et on aperçoit près du Boulevard Virgule qui longe le clavier providentiel, un homme jeune et beau, avec tout l’avenir devant lui, dire au revoir à sa fringante épouse monstrement bien gaulée. Après s’être lesté d’une grosse pierre de granit attachée à son cou par une corde raide comme l’est devenue sa vie, il disparaît à jamais dans le flot de larmes glacées. L’arpenteur, miséricordieux, apaise ses ouailles.
Du calme. Je reviendrai bientôt, avec plaisir et envie, lâcher quelques virgules au gré du vent, pour lesquelles vous vous battrez comme des fashion victim un jour de soldes devant le rayon « petite jupe à tomber à 14.95»…
Alors tenez vous correctement, essuyez vous les doigts et le reste, ne mangez pas de chips sur le canapé, et laissez cet endroit comme vous aimeriez le trouver.
La foule soulagée exulte, certains en profitent pour sortir leurs matelas pneumatiques et faire le tour de ce lac de larmes, alimenté maintenant par des torrents de bonheur lacrymal, en chantant à tue-tête le générique de « La croisière s’amuse », tandis que d’autres commencent à se recoudre tant bien que mal le sexe. L’arpenteur conclut d’une phrase qui à n’en pas douter restera printanière et historique :
A plus…
« Virgule » désespérée, par Arpenteur, mégalomane depuis 1971
(c)photo arpenteur2005 - désert de gobi, mongolie