Chérie, j'ai rétréci la colonie
Je suis retourné en colonie.
Pas les colonies où on a des boys et on se la joue petit roi, parce que la couleur de sa peau est plus claire, ni celle où l’on s’installe en faisant comme chez soi, sans même avoir demandé l’autorisation du propriétaire des lieux, parce que « de toute façon, t’a rien à dire Bamboula ! »
Non. La colonie où nos parents nous envoient pour avoir un peu la paix pendant les vacances, la colonie de Pierre Perret, avec les guitares, tout ça tout ça.
A la colonie, je n’y suis allé qu’une seule fois. A 11 ans. Donc voilà 25 ans que je n’avais pas remis les pieds là-bas.
Premier constat, ça fout un coup de vieux de pouvoir se souvenir de lieux où l’on n’a pas été depuis 25 ans… avec la barbe qui pousse blanche, ça commence à faire beaucoup…
La colonie, à 11 ans, ça reste pour moi un endroit plein d’enfants inconnus, qui eux se connaissaient déjà, car venant tous du même village, qui n’était pas le mien.
C’est un endroit où j’étais le plus petit des « grands garçons » comme on disait, parqués dans le chalet de droite, sous les toits. Le chalet de gauche c’était les filles. Marrant ça, non ?
Un endroit où j’étais triste, et où je me sentais seul.
J’y ai retrouvé le même chalet, ses trois étages (petits, moyens, grands), mais les plafonds sont devenus beaucoup plus bas.
J’ai admiré les magnifiques planchers de bois bruts de chez brut, et les meubles très anciens qui me semblaient alors tout pourris.
J’ai revu le terrain de foot, devenu lui aussi beaucoup plus petit par je ne sais quel miracle, sur lequel les grands tapaient trop fort dans le ballon de cuir trop gonflé, pour gagner le tournoi à tout prix. A l’époque notre équipe s’appelait l’Italie. Je ne sais plus si nous avions gagné.
Je suis retourné dans ces caves dans lesquelles nous faisions du bricolage.
J’ai revu ces douches, qui, glacées, servaient de châtiment pour les trop chahuteurs.
J’ai traversé ce pré dans lequel je promenais mon cafard, justifiant mes yeux rougis par un rhume des foins persistant.
J’ai retrouvé la cuisine dans laquelle, comme dans toutes les colonies, on essuyait de la vaisselle dépareillée au dessin complètement délavé, avec des linges à carreaux toujours trop mouillés.
Dans le bâtiment allongé du réfectoire, j’ai retrouvé l’odeur des produits de nettoyage et le sol en lino. La salle à manger elle aussi est devenue plus petite. Cette salle à manger dans laquelle nous devions certains soirs écrire des cartes postales à nos parents. Où j’avais écrit tout le mal que je pensais de ces lieux où je m’ennuyais terriblement, détestant la vie de groupe, les chants autour du feu, et tout ce qui fait rêver les « colons ». Carte dont le contenu n’avait pas échappé à la « censure » qui régnait, et qui m’avait valu un entretien avec le directeur, qui en avait d’ailleurs informé mes parents, tout étonnés (et peut-être fiers) du nombre de gros mots que je savais écrire sans faute.
Et le petit enfant que je suis s’est souvenu des propos du directeur lorsqu’il m’avait pris à part, me rendant attentif à la chance que j’avais d’être en bonne santé, de manger à ma faim, d’avoir une famille et des amis. Je ne sais plus si j’y avais été sensible, à l’époque. Sans doute pas.
Mais ce week-end, en mangeant, buvant, chantant et riant toute la nuit pour l’anniversaire d’un cousin qui comme presque tous les autres, a passé parmi les meilleurs moments de son enfance, puis de sa jeunesse, comme moniteur, dans ces trois chalets, j’ai dit en pensée au directeur qu’il avait raison. Et c’est peut-être depuis ce jour-là que je suis si terriblement, et parfois douloureusement conscient de ma chance.
Ce qui a changé en 25 ans ?
D’abord, à l’époque, quand quelqu’un avait 40 ans, je n’étais pas invité.
Ensuite, tout est devenu plus petit, ou moi plus grand, et mais surtout je ne me suis pas senti seul.
Enfin, si j’ai eu les yeux humides, c’est du plaisir de voir danser l’arpenteuse au son de la guitare, sans qu’elle sache qu’on pouvait la voir.
« Flashback » cafardeux, par Arpenteur, colon depuis 1971
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