Ca déménage...
Parfois, vers la fin d’un mois, il y a les déménagements. Un déménagement c’est un peu comme « Déco » mais sans la blonde en salopette qui glousse comme un dindon qui se serait coincé les roustons dans son string léopard.
En fait, à sa place, il y a plutôt des mecs qui puent la sueur, et qui parlent moins. Ce qui est agréable (le fait qu’ils parlent moins, pas de puer la sueur, enfin, chacun ses goûts).
Plutôt que de glousser, ils échangent des propos techniques, mais seulement dans les escaliers. Ils discutent de religion, de très vieux métiers, ainsi que d’anatomie, mais moins.
Ca fait un peu comme ça : « Aïe ! Nom de dieu de putain mes doigts tu fais chier ! Recule, fais gaffe un peu ! Merde », mais ce n’est qu’un exemple, personne n’est vraiment sûr.
Les hommes ont des outils. Le pote qui les a mis dans cette galère leur a demandé de démonter l’armoire de la chambre à coucher qui de toute façon ne passerait pas la porte, puisque je vous le dis. Alors ils s’exécutent, et comme ils savent que ce sont eux les pigeons qui devront essayer de la reconstruire dans la nouvelle maison, ils notent les différents éléments avec les restes d’un tube de rouge à lèvres trouvé sous le lit.
Les morceaux d’armoire, ils les mettent ensuite dans la camionnette, entre la trottinette du petit dernier, le canapé qu’ils ont fait une demie heure pour descendre par l’escalier, le ficus offert par la belle-mère, et quatre cartons de CD, qui a eux seuls justifient l’invention de l’i-pod.
Pour faire le moins de trajets possibles avec le véhicule, les hommes se livrent entre eux à une partie de « Tétris » niveau ceinture noire foncé de coupe du monde internationale supérieure départ arrêté, et ce afin d’occuper le moindre espace vide.
Normalement, à ce moment-là, il y a Enguerrand qui garde les mains dans les poches, sur le trottoir. Il en profite pour préciser, qu’avec une lampe de chevet en B5, Anthèlme pourrait faire un double brelan lifté, ce qui permettrait de relancer avec le meuble télé en H2.
Mais souvent Anthèlme, au lieu d’écouter ces précieux conseils (Enguerrand a quand même le 9ème meilleur score sur la console Tétris du Café de la Croix fédérale, et ce depuis 5 semaines, ce qui n’est pas rien, y a qu’à demander au patron), lui propose fort judicieusement de garder ses maxillaires dans une position fixe et d’adopter une autre activité digitale : « Ferme ta gueule et sors toi les pouces du cul plutôt !».
Oui, il faut reconnaître que parfois les hommes qui déménagent sont vulgaires.
Arrivés à destination, ils font moins les fiers. Parce que dans la maison toute neuve, il y a des femmes transformées en tornades. C’est sans doute l’effet des produits de nettoyage, ou la faute de cet abruti de cuisiniste qui n’a même pas fini d’installer le lave-vaisselle, mais force est de constater qu’elles sont tendues comme des arbalètes « swiss made » déguisées en string XS.
Alors les hommes forcément, ils deviennent moins bavards. Ils prennent des boissons à base de houblon, et se tiennent tranquilles près de la camionnette, en attendant que les femmes se rendent compte de leur présence, et daignent leur indiquer dans quelle pièce ils doivent déposer ceci, ou cela, ou tenter de remonter l’armoire, sur laquelle les marques de rouge à lèvre ont évidemment disparu.
Enfermés dans la chambre avec des morceaux de meuble éparpillés partout, ils en profitent pour invoquer à nouveau le nom du seigneur remettant notamment en cause la dignité de sa mère, tout en se demandant pourquoi diable à 11 ans ils avaient demandé comme cadeau une boîte de Mécano.
Puis à la fin, quand un des derniers cartons éclate et déverse des centaines de paires de chaussures de femme dans les escaliers, tous partagent un grand éclat de rire, et chacun sait que dans leur nouveau chez eux, il se sentira un peu comme chez lui.
Ce qui nous rappelle combien nous apprécions que chez nous, ils se sentent comme chez eux.
J’espère.
« Virgule » de poids, par Arpenteur, livreur depuis 1971
(c)photo arpenteur2005 - mongolie