Un petit tour, et puis...

Publié le par Arpenteur

Il y a une chose à laquelle personne ne peut échapper au mois de juillet, c’est le Tour. Même les anglais n’ont pas pu y échapper cette année. Déjà qu’ils ont la pluie (bon, ça nous aussi), le pudding et le Prince Charles, ils sont vraiment pas gâtés les pauvres.

Le Tour de France c’est tellement important qu’on l’appelle seulement le Tour. Comme si il était impossible de tourner autour d’autre chose que la Fraaaance. Pourtant certains tournent autour du pot, mais ceux-ci ont plus de problèmes à aller à selles que les cyclistes.

Le Tour, c’est le plus grand spectacle gratuit du monde, il paraît.

Toute l’année, Robert casse les pieds à Simone chaque fois qu’il plonge le nez dans l’Equipe : « y en a marre, ces cyclistes, tous des drogués de toute façon ». Et le mois de juillet venu, il la séquestre dans la caravane, et l’emmène sur les routes, parce que quand même, c’est pas tous les jours qu’on a l’occasion d’assister à un événement pareil, et c’est gratuit en plus, si si, je te le dis Simone, alors on serait vraiment des cons si on y allait pas…

C’est sûr que c’est un événement : on prétexte une vague course de bicyclette pour faire venir les gens au bord de la route, et faire défiler devant eux deux heures de spots de pub. Avant ce prodigieux spectacle, Robert et Simone vont devoir rester bloqués plusieurs heures dans des embouteillages que bison futé avait pourtant prévu aux abords de la rocade-sud de Krasoïarsk-sous-Gare, ce qui leur permettra de faire connaissance avec Ruud et Grietje, qui sont venus exprès de Rotterdam pour essayer d’attraper un t-shirt des supermarchés Champion. Robert, lui, est plus tenté par la casquette LCL, mais saurait se contenter d’un petit fanion PMU.

Finalement Robert arrive sur la départementale D374, et pose sa caravane à deux kilomètres de la sortie sud de Chimouliaux-le-Glaouis-près-l’Abbaye-Saint-L’or-en-Fignon, dont il n’apprendra pas la riante histoire médiévale grâce aux commentaires de France 2, réservés à ceux qui restent dans leur salon pour assister à ce merveilleux spectacle : « ce petit bourg au charme désuet fut au XIème siècle un centre très important dans le commerce de bougeoirs en osier, et des commerçants venaient même de Saint-Lance-le-Bras-Fort à 48km de là, en passant par un sprint bonification, pour profiter de la qualité du travail des Chimouliens – merci France 2, le Tour de France est vraiment une aventure culturelle autant que sportive ».

Tranquillement installé sur son tabouret pliant, Robert patiente en écoutant RadioTour (la caravane publicitaire est actuellement à l’entrée de Soligny-sur-Vanne-les-Seringues-d’Indure-Ain km98). Il lit l’Equipe, pendant que Simone lui sert un petit pastis, et qu’elle hésite quant à son couvre-chef : le bob Ricard de l’an dernier est-il mieux assorti à son t-shirt collector Antenne2 que la casquette à visière translucide Evian.

- Tu te rends compte Simone, ils passent la Côte de Saint-Bœuf en 54/12, c’est de la folie furieuse. Ouais, vous les femmes vous pouvez pas comprendre, vous n’êtes jamais montée sur un vélo.

Sur la route, quelques syndicalistes griffonnent un FO à la peinture blanche, par-dessus le « allé les bleu » maladroitement peint par un enfant. Simone regarde avec envie la caravane immatriculée dans le 32 parquée juste en face, faut dire que c’est une Grand’Adventurer 620 avec air conditionné, lorsque Robert, qui s’est enfin levé de son tabouret, réajuste sa casquette Cochonnou et lui crie : « Tu as entendu Simone ? dans 5 minutes, 5 petites minutes et la caravane publicitaire arrive… Ne te mets pas trop près de la route ».

Et le défilé commence. D’abord quelques motos de gendarmerie, qui passent sous les huées, puis ce sont des voitures déguisées en saucisson, en montre-bracelet, en bouteille, en pneu, en antenne-satellite, du haut desquelles on jette casquettes en papier, autocollants, drapeaux, et autres colifichets, comme pour amadouer les indigènes avant le passage du roi.

Robert est content, il a réussi à arracher des mains du belge d’à coté un t-shirt à pois Champion.

-  Tu as vu Simone, je l’ai eu, je l’ai eu ! Ruud en serait vert de jalousie. Et d’éclater d’un rire sardonique : quand je vais porter ça au boulot, ils vont devenir dingues les gars. Ils feraient bien de sortir de chez eux un peu aussi, toujours à rester le cul collé à son canapé, on n’arrive à rien.

Et ainsi de suite pendant deux heures, quelqu’un manquant de se faire écraser à chaque instant dans un concert de klaxons et de cris, au milieu d’une véritable émeute, et d’une pluie de futurs déchets…

Puis on annonce le peloton groupé, à cinq minutes. La foule devient fébrile, mais le calme s’installe, finie la caravane publicitaire, les choses sérieuses commencent. « Peloton à 2 minutes » annonce un motard.

- Ils arrivent Simone. Pousse-toi un peu je vois rien. Et avec ces gens qui se mettent au milieu de la route, on est obligé de s’avancer, c’est vraiment n’importe quoi.

Deux motos de la gendarmerie écartent à grands coups de klaxon la foule qui s’ouvre comme la mer devant Moïse pour se refermer immédiatement derrière eux. Puis elle s’écarte à nouveau, pour laisser passer une masse de maillots bariolés, dans un bruit de frôlements, un chuintement sourd, couvert par les hurlements de la foule.

Sept secondes exactement. Puis c’est fini.

- Tu as vu Simone, tu as vu ? Il y avait Marco Gallego Van le Kirov, le grimpeur, tu l’as vu dis ? Tu ne t’intéresses vraiment à rien ma pauvre Simone. Et tu as vu, j’ai réussi à taper dans le dos d’un coureur pour l’encourager. Les enfants ne vont pas en revenir. Ca lui fait du bien de se sentir soutenu. Je crois que c’était le No 128, je vais aller regarder son nom. Range le tabouret, faut qu’on se dépêche si on ne veut pas rester trop longtemps coincés dans les embouteillages…

Robert ramasse son petit fanion Skoda, qu’il va installer à l’avant de la Citroën, et c’est en bougonnant qu’il écoutera la fin de l’étape à la radio, coincé sur la bretelle nord de la sortie de l’autoroute près de l’incinérateur de Château-l’Orgne-sur-la-Beaufe.

« Virgule » sportive, par Arpenteur, chimiste depuis 1971

(c)photo arpenteur2002 - paris

Publié dans Virgules

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
V
Je l'ai vécu de l'intérieur (ceux qui "amadouent"), et même si tu forces le trait, il y a quand même des clins d'oeils qui m'ont beaucoup faite rire ;)
Répondre
A
Forcément. Forcément. Tu as assisté à ce truc là. C'est inimaginable autrement ! Très très bien vu, c'est exactement ça.
Répondre
M
Une fois, une fois seulement je l'ai vu le tour de France.<br /> Il passait juste où j'étais en vacances avec mes parents. Deux côtés de la route, et on a choisi le mauvais. C'est les autres enfants qui ont tout eu, moi j'ai pu à peine récolter quelques sachets de bonbons qui ont fini l'été fondus au fond du sac.<br /> J'aurai dû les donner aux coureurs, ça leur aurait peut-être évité des cancers divers et variés...
Répondre
N
J'ai appris ce matin qu'il y avait du dopage encore et sue le maillot jaune en plus !
Répondre
A
@tous : je vous promets, ce billet a été écrit sans aucun dopage... <br /> Par contre, il est vrai que j'ai du payer de ma personne, et qu'il y a de nombreuses années, j'ai participé quelquefois à la fascinante expérience sociologique, qu'est une étape du tour de France... Mais en montagne quand même, histoire que ça dépasse 7 secondes...
N
Pour ce qui me concerne, même gratos, je n'irai pas... Enfin, une année, ils passaient en bas de mon immeuble, alors là, forcément j'ai fait un effort. J'ai vu des mecs passer à toute allure sur leurs vélos, comme tu dis un chuintement... Et puis... rien !!!!<br /> Mince, tout ça pour ça !!!!<br />  
Répondre