La parole est d'or
Lundi 13 février
Aujourd’hui je suis allée à la police. Enfin.
J’étais vraiment stressée d’aller tout raconter, mais il le fallait. Maman est venue avec moi. C’était mieux comme ça, mais c’était dur quand même. Fallait bien se rappeler, et c’est pas facile de dire ce genre de choses. Mais la policière était gentille alors je me suis vite détendue, et j’ai pu raconter.
C’est pas grave si je ne me rappelle pas tout, qu’elle m’a dit, vu que ça fait longtemps qu’il est parti. De toute façon Franco c’est pas mon père. Je suis content qu’il soit enfin loin. Je n’ai jamais compris pourquoi Maman s’est mise avec lui. Bon maintenant, au moins, on a Valeria. Elle est trop belle notre petite sœur café-au-lait. Suis contente qu’on puisse la garder. Elle aurait été malheureuse de toute façon avec lui. J’espère qu’il sera renvoyé dans son pays.
Vivement mercredi prochain. Avec Maman, on a invité toutes mes copines pour mon anniversaire. Je n’en peux plus d’attendre d’avoir 14 ans.
Samedi 4 mars
Cet après-midi, balade avec Ariane au centre commercial. On a traîné dans le hall à regarder les garçons. A un moment, il y a en deux qui sont venus vers nous. C’est des grands. Ils doivent avoir presque 16 ans. Je ne savais pas quoi dire. Mais ils étaient cool, et Ariane a accepté quand ils nous ont proposé d’aller voir les disques. C’était sympa, on a bien rigolé. Mais après je devais rentrer, déjà. Ariane m’appelée un peu plus tard, et elle m’a dit que Jérémie, celui qui avait le bonnet, il l’avait embrassée quand elle avait dû partir elle aussi. J’aurais bien aimé qu’il m’embrasse, lui. L’autre non, il est un peu moche je trouve. Mais je suis trop timide des fois, et ça m’énerve.
Maman, elle m’a demandé pourquoi j’étais énervée. Je ne pouvais pas lui dire que c’était à cause de Jérémie. Elle pense que c’est à cause de tout ça, la police et tout. Elle a dit que ce serait dur, mais qu’il faudrait tenir. Parce qu’il allait tout nier, et tout faire pour se défendre, et pouvoir voir sa fille. Ils font tous ça, qu’elle dit. C’est normal aussi, je trouve.
Mercredi 22 mars
J’ai dû aller chez le juge d’instruction confirmer ce que j’ai dit à la police. C’est la procédure il paraît. J’avais peur, parce qu’il serait là, avec son avocat. Je n’ai pas osé le regarder. L’avocat était jeune, j’étais surprise. Ca m’a rassurée, mais quand il a exigé que Maman sorte pendant mon interrogatoire, j’ai vraiment eu la trouille. Heureusement le Juge a été gentil. Et chaque fois que l’avocat insistait trop sur certaines choses, il le calmait, en disant qu’il devait respecter la loi sur les victimes, que j’étais jeune et tout et tout. Ensuite c’est maman qui a été interrogée. J’ai du attendre toute seule devant la porte. J’avais toujours cette boule au ventre. Et quand ils sont sortis, l’avocat est venu nous serrer la main à maman et à moi. Ca fait bizarre. Il y avait Franco derrière. Mais, j’ai pas osé le regarder, lui. Pourtant il était là, tout près. Je sentais ses yeux sur moi, je me sentais sale. C’était horrible. Bien pire que le jour où je suis allée à la police.
Vendredi 31 mars
Je suis retournée chez la psychologue. Je lui ai dit que dans l’ensemble ça allait bien, sauf que j’ai toujours cette boule au ventre. Elle dit que c’est à cause de ce que j’ai eu, et que subir des attouchements par son beau-père, ça laisse des traces, c’est normal. Faut pas que je m’inquiète.
Mais c’est désagréable, et à cause de cette boule, je n’arrête pas de penser à tout ça. Heureusement les vacances de Pâques commencent demain.
Lundi 17 avril
Ca fait qu’un jour que les vacances sont finies, et j’en ai déjà marre de retourner en classe. Heureusement qu’il y a les copines, parce que sinon, je deviendrai folle. Et ma mère m’énerve. Sans cesse à me tanner à propos des devoirs, de l’avenir, et des responsabilités. Elle ferait bien de s’occuper de ses oignons. Se marier avec un mec 20 ans plus jeune qu’elle et faire un gamin de plus, alors qu’elle a déjà trois enfants. Et dire que c’est elle me parle de responsabilité.
Vendredi 12 mai
Aujourd’hui, Valeria est aussi allée à la police. Il y a quelques jours, elle nous a entendu parler avec Maman, je pense, et elle a dit : « moi aussi ». On a vraiment été surprises, alors on lui a posé plein de questions. On a pas compris vraiment ce qu’elle racontait. C’est normal, elle a 3 ans, alors c’était un peu n’importe quoi. Mais plus on lui posait de questions, plus ça devenait clair.
Alors Maman a décidé qu’il faudrait qu’elle aille aussi à la police. C’était une bonne chose. Parce qu’en plus le Service de la Protection de l’Enfance voulait rétablir le droit de visite. C’est le père de Valeria qui a demandé au Juge. Faut dire qu’apparemment il a très envie de revoir sa fille.
Mercredi 7 juin
C’est bientôt les examens de fin d’année, mais je m’en fous. Je vais redoubler. Ma mère va me faire une crise, et mon père me fera un week-end de morale la prochaine fois que j’irai le voir. Au moins il me parlera pour une fois. Je préférerais presque ça, plutôt que de le voir partir en virée avec ses potes, me laissant devant la télé. Parce que moi me geler au bord d’un terrain de foot, ça me fait chier. En plus ses copains c’est vraiment trop des beaufs.
Je sais pas si je devrais lui parler de l’histoire du tribunal à mon père. Peut-être que ça l’intéresserait. Mais d’un autre côté il risque de poser plein de questions, et ça j’aimerais pas trop. J’aurai peur de me tromper.
Lundi 10 juillet
Aujourd’hui Maman m’a raconté que l’avocat a fait interroger Mammy, mais elle bien répondu il paraît. Elle a dit qu’elle ne venait jamais, et que Franco était tout le temps seul avec nous. Mais son avocat a été assez agressif, et il a expliqué au juge que les enfants de l’âge de Valeria étaient terriblement influençables, même si on leur posait pas de questions. Moi je pense pas que nos questions l’aient influencée, mais Maman a dit qu’il valait mieux lui faire répéter ce qu’elle avait raconté la première fois. Alors chaque jour on va lui poser quelques questions. C’est plus sûr.
J’ai parlé un peu avec Valeria, et c’est vrai qu’on dirait qu’elle se souvient pas de ce qui s’est passé, et elle demande simplement pourquoi son papa a dû repartir en Afrique. J’espère qu’on ne le croisera pas dans la rue un jour, car elle comprendra plus rien. Mais peut-être que de toutes façons, elle ne se souvient pas comment il est, vu que Maman a enlevé les photos qu’il y avait dans l’album.
J’espère que cette affaire va vite se régler, car j’ai de la peine à m’endormir. Pourvu qu’il soit condamné, et renvoyé dans son pays, que je puisse oublier tout ça au plus vite.
Jeudi 17 août
Hier soir je suis allée à une boum dans le jardin des parents d’Ariane. Juste avant de partir, José, celui qui est assis juste devant moi en classe, m’a fait venir derrière un buisson, et il m’a embrassée. Ca faisait drôle parce que je pensais à Jérémie, mais j’étais toute fière, et impatiente de le raconter à Ariane.
Il m’a même un peu touché les seins par-dessus mon survêt pendant qu’il m’embrassait. C’est la première fois qu’on me faisait ça. Ca faisait bizarre, mais j’ai bien aimé. Depuis le temps que les copines m’en parlaient. Et que moi j’en parlais, surtout depuis le début de cette histoire. J’espère que personne ne lira jamais ça.
Dimanche 3 septembre
Hier on est allés tous ensemble faire des courses. A un moment donné, on a aperçu Franco de l’autre côté de la route. Maman nous a dit à Mammy et à moi de distraire Valeria et de la cacher un peu. J’ai pas aimé. Depuis la boule au ventre est encore plus grosse. Ca fait drôle de voir Maman réagir comme ça, être prête à tout. Mais je comprends, je suis comme elle, je ne veux pas que Valeria ait envie d’aller le voir. Ou que le juge la lui rende.
Jeudi 14 septembre
Aujourd’hui, on a reçu une lettre de l’avocat de Maman. Le procès a été fixé. Ca m’a fait un coup. J’espère je ne vais pas avoir à tout répéter. Mais il y aura trois juges, et peut-être que l’avocat de Franco va leur faire remarquer des choses, ou poser des questions. J’ai vraiment peur. L’avocat de Maman a dit qu’avec la loi sur la protection des victimes, on ne va pas m’interroger encore une fois. C’est pour protéger les enfants. Finalement on a fait répéter Valeria que pour la police. Le juge il voudra pas l’écouter. Mais c’est mieux comme ça. J’espère vraiment que je ne serai pas obligée d’y aller. Je ne veux pas devoir les regarder ou leur parler.
Mercredi 8 novembre
Plus qu’une semaine, et ce sera le procès. Je sens que Maman est aussi stressée que moi, et Valeria est pénible. Elle veut jamais être seule, et tout. Elle doit sentir la tension. Hier avec Maman on s’est encore engueulées quand je lui ai dit que j’en avais marre de tout ça, que c’était pour ça qu’à l’école que j’ai toujours des mauvaises notes. J’arrive pas à me concentrer, et que je dors mal. Elle dit que c’est pas possible. Pourtant elle aussi ça lui prend la tête, je le vois bien. Alors elle devrait comprendre que c’est pas facile. Je trouve que c’est beaucoup de devoir porter tout ça pour une enfant comme moi.
Mardi 14 novembre
Après l’école, Maman nous a tous réunis. Elle avait une grande nouvelle à nous annoncer. J’étais contente car elle souriait. Elle a dit que le procès était annulé. J’ai senti un soulagement incroyable.
Mais quand elle nous a dit qu’il était mort, je me suis vraiment sentie mal. Il s’est suicidé avec des médicaments.
La boule au ventre est revenue d’un coup. Brûlante. Je suis partie dans ma chambre. J’ai beaucoup pleuré. Je voulais mourir. Je ne suis même pas sortie pour le dîner, malgré Maman qui criait après moi.
On voulait pas que ça finisse comme ça. On voulait juste garder Valeria pour nous.
Au bout d’un moment, Maman est venue. Elle m’a dit que c’était mieux ainsi. Que ça évitait bien des souffrances à tout le monde. Et que Valeria, elle ne s’en souvient même pas, de son père, alors qu’elle n’est pas triste. Ca aurait été encore pire si un jour elle l’avait rencontré, qu’elle a dit.
Moi je sais pas. J’en suis pas si sûre.
C’est pas bien ce qu’on a fait. J’ai envie de vomir par moments, et la boule au ventre maintenant elle m’étouffe.
Mais en même temps, je suis soulagée. Je ne sais pas si j’aurais pu mentir encore longtemps. Surtout devant la Cour d’Assises.
« Nouvelle mauvaise » incestueuse, par Arpenteur, avocat depuis 1971