Peau d'zébu
La Suisse vit des heures difficiles.
Une angoisse générale étreint toute la nation (d’ailleurs la Suisse est-elle une nation ou un état ? oui, ce blog pose des questions trop philosophiques). Le pays vit dans la peur. Toute la population tremble en permanence comme les filets de but derrière Zuberbühler. Chaque citoyen prie avec ferveur, comme si on voulait d’un coup d’un seul supprimer l’armée, les montres, le Cervin, DJ Bobo et le rivella.
Si la Suisse vit des heures si sombres aujourd’hui c’est à cause de Bruxelles, qui n’est pas en Suisse (c’est juste le mot politiquement correct pour dire « saloperie de réglementation européenne »).
Donc Bruxelles, charmante capitale d’un Etat qui n’existe plus (là on a la preuve que ce n’est pas une nation), puisque ses habitants ont commencé à se friter entre eux. Bruxelles, située à environ très loin du Brésil, regarde l’intérieur d’un zébu. Eh oui, le bruxellois à bonne vue et des loisirs de merde…
Mais qu’y-a-t-il donc de si intéressant dans un zébu brésilien ? me direz-vous, avec votre perspicace sagacité.
Je vous calme tout de suite, ce n’est ni son string, ni ses qualités de dribble du pied gauche.
Le zébu brésilien, non content d’être un bovidé domestique herbivore et cornu de plusieurs centaines de kilos, descendant d’une sous-espèce indienne d’aurochs, a un goitre flétri et une bosse molle. Mais il a surtout des intestins d’une finesse extrême et inégalée : on dirait presque une blague de Patrick Sébastien, voire un jeu de mot de l’arpenteur.
Et Bruxelles a interdit l’importation de ces intestins si fins, car ils seraient porteurs de la maladie de la vache folle (vous me direz, venant du Brésil, ce n’est pas si étonnant). Interdiction valable également en Suisse en vertu de joyeusetés bilatérales, auxquelles j’avais voté oui des deux mains.
Jusque là, rien de bien extraordinaire. Au contraire, les défenseurs des animaux seront ravis : on épargne ainsi de nombreux zébus qui sans intestins ont beaucoup de peine à voir l’avenir avec sérénité, ainsi que 120'000 vaches et 336'000 porcs suisses chaque année…
Le problème, c’est que l’intestin de zébu est utilisé pour fabriquer la fine peau du cervelas !
Et comme la fondue, la raclette, le chocolat, les roestis, Roger Federer, le cenovis et les montres, le cervelas est légendaire, et indispensable à l’unité nationale. Tout comme les pâtes sont essentielles aux italiens, la poutine aux canadiens, les frites aux belges, la vodka aux russes, les guerres aux américains, et les grèves aux français.
Petite saucisse à base de viande de bœuf et de porc, le cervelas est le fondement même de la survie de la population, puisque le fait d’avoir un cervelas dans son frigo peut sauver une vie. Si, c’est prouvé. Alors sans intestin de zébu, seule peau assez fine pour confectionner les 160 millions de cervelas qui sont consommés chaque année par les Suisses, dont moi (soit 23 par habitants, nourrissons et étrangers compris), plus de cervelas…
Cela signe l’arrêt de mort des petites grillades en montagne, avec le cervelas joliment planté au bout d’un bâton taillé avec un couteau militaire, que l’on fait dorer à la flamme d’un feu de bois en éclusant quelques gorgées de fendant.
Fini aussi les lunchs fédéraux (repas distribué aux soldats lors des journées en plein air passées loin de la caserne), qu’on emporte avec soi le matin avant l’exercice « tornado » où « il faudra te l’engagement messieurs parce que fertig te fous foir traîner les souliers t’ordonnance 81 comme s’il n’y afait plus te zerfelas sur la terre, ok ? achtung ! r’pos ! ».
Fini les repas à 2 francs 60 (prix d’une paire de cervelas) qui permettent ainsi aux étudiants d’économiser un peu plus pour aller boire des bières et pour rentrer soit dans un réseau social très utile pour leur avenir (du moins avant l’arrivée de facebook) ou soit dans l’intimité d’une étudiante un peu saoûle.
Et enfin, comment accueillir dignement les milliers de supporters du futur Eurofoot 2008, si il n’y a pas de cervelas-moutarde à leur servir avec leur bière ? Ce serait comme si lors de la Coupe du monde en Allemagne il n’y avait pas de bière ou si lors des jeux olympiques de Pékin il n’y avait pas d’exécution…
Alors comme tout le monde, je vis dans l’angoisse. Je fais des provisions de cervelas en vue de la prochaine pénurie. Je prie pour que la science trouve un moyen de créer un produit de substitution à ce merveilleux intestin de zébu brésilien dont la finesse a fait mon bonheur pendant des années, sans même que je le sache…
Et puis finalement, pourquoi ne pas lancer un référendum pour demander l’unification de la Suisse et du Brésil ?
Au moins on aurait une chance de gagner au foot…
« Virgule » angoissée, par arpenteur, brésilien depuis 1971
(c)photo arpenteur2006 - dortmund, allemagne
(Pour tout savoir sur ce drame c'est ici)