Pause cassée
Qu’y a-t-il de plus dur, un lundi matin pluvieux (ou même un autre matin d’ailleurs), que de voir revenir de vacances un collègue qui vous exaspérait déjà avant, et qu’il vienne vous gâcher la pause-café avec son sourire détendu, et sa peau bronzée (je ne dis pas tannée, parce que bientôt c’est vous qu’il va tanner).
Eh bien oui, il y a pire : c’est de le croiser dans les transports en commun.
Parce que là, pas d’échappatoire possible, et en plus, il fera partager sa merveilleuse expérience de retour à la nature à tous les passagers, en vous prenant systématiquement à témoin :
« Tu sais, ce qu’on a vraiment aimé sur la Côte d’Azur, c’est de sortir des sentiers battus, de partir à l’aventure, et retrouver le côté authentique des choses » (en clair : on allait même à la plage en passant par la petite ruelle entre les 2 hôtels qui nous masquaient la vue, et qu’elle était même pas goudronnée la ruelle, et que même des fois, il y avait un linge pendu à la fenêtre de la cuisine du Riva Bella qu'on aurait dit le sud, et que même on gagnait du temps, en évitant la rue que prennent bêtement tous les touristes).
Là, vous hochez la tête d’un air admiratif (pas à cause de ma prose ma foi fort gouleyante), mais de cette expérience aventureuse teintée de courage et d’esprit pionnier.
« Tu sais (oui, il commence toujours par « tu sais », parce que lui il a voyagé, alors il sait, et pas toi), ce qu’il faut, c’est éviter les endroits touristiques (ok, la prochaine fois, que j’irai sur la Côte d’Azur, je prendrai aussi la petite ruelle entre les poubelles du Riva Bella et de l’hôtel des Flots bleus), car c’est seulement là que tu découvres la vraie vie des gens du coin, c’est là que se cache la richesse d’un voyage, et c’est ça qui est passionnant » (en clair : en passant, tu entends le clandestin bulgare payé au noir pour faire la plonge dans la cuisine du Riva Bella, qui chante d’un air mélancolique le tube de la gagnante de sa StarAc nationale, en souvenir du bon temps au pays).
C’est ça le trend maintenant : tout le monde veut éviter les endroits touristiques (ben oui, c’est plus classe, moins beauf quoi, comme de dire « trend » non ?). A tel point que même les guides de voyage et les agences te disent comment les éviter, comment faire et où aller.
Du coup, tous les touristes se retrouvent dans des lieux non touristiques, qui du coup, le deviennent. Parfait exemple de caudophagie (ou auto-herpétophagisme, dit aussi « théorie du serpent qui se mord la queue »).
Alors s’il te plaît Raymond, arrête, toi et moi, où que l’on aille, on sera toujours des touristes.
Allez ma pause est finie, suis de retour au boulot, et je n’irai pas à la pause café. Je veux pas être le Raymond du jour…
« Virgule » aventurière, par Arpenteur, cafetier depuis 1971
(c)photo arpenteur2006