A deux doigts de la grève

Publié le par Arpenteur

Mes doigts se prennent pour des scénaristes hollywoodiens, qui aiment conduire des trains en étudiant la littérature népalaise, et ils se sont mis en grève.

Au début, je dois dire que je me suis un peu foutu de leur gueule : « C’est ça, c’est ça, n’importe quoi pour être à la mode… Vous n’avez vraiment aucune personnalité. Vous savez, vous n’êtes pas obligés de faire comme tout le monde ».

Puis ils m’ont envoyé une délégation, pour me faire part de leurs revendications. Parce que dans une grève, on prend des décisions à main levée, on délègue et on revendique, c’est le principe de base. On défile un peu aussi sous des banderoles bourrées de jeux de mots si pathétiques qu’ils pourraient avoir leur place ici, en scandant des slogans, dans une doudoune tapissée d’autocollants fluorescents…

Alors la délégation de mes deux doigts est venue. C’était les plus moches. C’est fou ce que les représentants syndicaux digitaux sont laids en général. Je me demande où ils font leurs castings. A croire qu’ils les trouvent dans le matériel abandonné sur place après la délocalisation d’un train-fantôme (train-fantôme/grève, tiens, je ne l’ai pas fait exprès celui-là, je vous jure). Enfin bref, chez moi, c’était l’annulaire de la main droite, et l’auriculaire de la main gauche.

Ils m’ont dit qu’ils en avaient vraiment marre de se faire ronger. L’auriculaire a prétendu être allergique au cérumen, et a demandé une prime de risque et la retraite anticipée, comme s’il voulait rester en l’air à boire du thé. Ils en avaient marre d’obéir au doigt et à l’œil. Bref, ils tentaient le coup de poing.

Je leur ai expliqué qu’à force, il ne faudrait pas qu’ils s’étonnent si un poil prenait la direction de la main à leur place. Que les pouces devraient bien sortir du cul où ils se prélassaient depuis trop longtemps, histoire que les usagers de ce blog ne soient pas pénalisés par leur prise d’otage. Que ceux-ci n’y pouvaient rien, et que si ça continuait, ils iraient sur d’autres blogs, plus influents et plus drôles. Et que, dans ce cas, mes doigts n’auraient plus de boulot, et que ce n’était pas en se tournant les pouces qu’on pouvait se lécher les doigts après un bon repas.

C’est là qu’il m’ont dit qu’en les menaçant, je n’arriverai à rien, que je me foutais le doigt dans l’œil, jusqu’au coude.

« Je ne lâcherai rien. Je ne bougerai pas d’un pouce » leur ai-je répondu.

Alors ils sont partis, en me montrant du doigt d’un air menaçant. Ils n’y allaient pas de main morte : « Attention mon gars, tu mets le doigt dans l’engrenage là ». Puis ils m’ont envoyé leurs hommes de main, pour m’impressionner. Je les ai tout de suite reconnus. Deux gars plutôt grands, qu'on appelait les deux majeurs. IIs avaient l’air tendus : « Fais gaffe, tu vas finir avec notre main dans la gueule, et tu vas t’en mordre les doigts ». Je les ai trouvés vulgaires, et ça ne m’a pas impressionné du tout.

Mais une chose était sûre, cette histoire n’allait pas se régler en claquant des doigts. On était à deux doigts du blocage total, et pour m’en sortir, il me faudrait glisser ma main de fer dans un gant de velours.

Heureusement, mon petit doigt m’avait dit qu’ils n’étaient pas unis comme les doigts de la main, et j’étais sûr que j’en avais quelques uns qui avaient deux doigts de jugeotte. J’en aurais mis ma main au feu.

En croisant les doigts, je suis allé les voir : « Dis donc, vous voudriez pas me donner un coup de main ? ». Ils en avaient marre eux aussi d’être toujours mis à l’index. Ce n’étaient pas des gars qui me mangeaient dans la main, loin de là, mais ils aimaient leur travail, et ont décidé de prendre les choses en main, tous seuls.

En un tour de main, de maître, c’était réglé, et c’est grâce à ces doigts de fée, mes deux index, qu’aujourd’hui, vous avez malgré tout pu lire ce billet.

Les autres sont repartis les mains dans les poches. Puis ils ont fini par se prendre en main, et comme ils ne savaient pas quoi faire de leurs dix doigts, ils ont remis la main à la pâte, et tout est rentré dans l’ordre.

« Humeur » digitale, par arpenteur, piquet de grève depuis 1971

(c)photo arpenteur2007 - barcelone

Publié dans Humeur

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C
S . P. L . E . N . D. I. D. E       !!!!!!!!!!
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D
Raymond Devos, sors de ce corps.
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L
Perso j'écris avec mes pieds.... mais tu avais deviné non?
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F
Pouce !!Arrête, je n'en peux plus de rire !Tes doigts réclament une compensation rubis sur l'ongle ?Chapeau !
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L
Bien, toujours bien, grâce aux grèves qui s'annoncent, je vais pouvoir lire en détail tous vos écrits toujours passionnants.Ecrire est-il votre métier ? Sinon, n'est-il pas frustrant d'attendre quelques commentaires hypotétiques ? Comment vivez vous cela ?Amicalement
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