Leur chanson

Publié le par Arpenteur

Tranquille à l’apéro, j’attends un ami, plongé dans un journal.

A la table d’à côté, un couple 20-25 ans. Plutôt mignons, l’air heureux et amoureux.

Mes oreilles traînent. Oui, encore (non, non, elle ne sont pas démesurément grandes, promis).

« Tu as entendu, c’est notre chanson… » susurre-t-elle soudain onctueusement, des fleurs dans la bouche…

Et je le vois se liquéfier sous mes yeux. Je sens l’éclair glacial qui le pénètre par le haut du crâne, transperce son corps jusqu’au bout des orteils, faisant perler des gouttelettes de sueur froide le long de son échine.

Je sens même baisser la température.

Ses yeux vacillent cherchent à s’accrocher quelque part. C’est la bousculade dans son esprit, je l’entends presque : « putain, c’est notre chanson ? on a une chanson ?… oui, c’est juste, elle me le dit à chaque fois… Mais pourquoi c’est notre chanson déjà ? ».

Panique. Regard perdu.

Il cherche un sujet de conversation en tripotant nerveusement ses clés. Il espère que le lustre se détache et se plante au milieu de son crâne tel Excalibur dans son rocher magique, ou que le serveur se plante avec le plateau. Il prie pour qu’il y ait une chute de vélo dans la poubelle juste devant la fenêtre, ou pour que le caniche de la vieille dame qui passe sur le trottoir d’en face prenne feu. Et même, avec un peu de chance, Dobelyiou pourrait penser que Le Matin est une arme de destruction massive (aurait-il tort?) et déclencher une frappe chirurgicale sur toute la Suisse romande.

Mais non, rien. Rien ne se passe… un ange, et c’est tout, qui lentement referme le piège…

« Tu te souviens ?… », insiste-t-elle.

Une épaisse terreur noie son regard qui croise le mien dans un dérisoire appel à l’aide.

« Oui », bredouille-t-il timidement.

Elle remarque son trouble. Ben oui, on la lui fait pas à elle…

« Ah oui ? et pourquoi c’est notre chanson ? ».

Silence.

L’ange resserre les mâchoires du piège.

« Ben bravo, je vois que tu t’intéresse beaucoup à notre histoire. Finalement nous deux tu t’en fous en fait… 

- Mais non, c’est pas vrai, je m’en fous pas du tout. C’est pas si important c’est tout.

- Pas important ? la chanson qui passait dans le supermarché le jour où pour le première fois nos regards se sont croisés ?

- On ne s’est parlé que 3 semaines plus tard…

- Oui, mais quand même, si notre histoire comptait un peu pour toi, tu te souviendrais. »

Silence. 

Et là, le serveur sauveur arrive. Mon voisin prétexte une erreur de commande pour dévier la conversation. 

Elle fait mine de fouiller dans son sac, trafique son portable. Ils boivent sans un mot. Puis sortent. Il lui prend la main dans l’allée verdoyante baignée de soleil. L’atmosphère printanière douce et légère semble l’apaiser. Elle le laisse faire. Ils s’arrêtent, il l’embrasse.

Je ressens presque son soupir de soulagement quand je vois ses épaules se détendre. Sauvé.

Et là je me dis : combien de couples ont sauté sur ce genre de coup ? A mort les radio-libres !

A noter dans mon pense-bête : éviter tout lieu où je risque d’entendre de la musique…

« Coup d’oeil » musical, par Arpenteur, disc-jockey depuis 1971

(c) photo arpenteur2006

Publié dans Coup d'oeil

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
E
<br /> <br /> Et un ange passe... Mais cet ange-là fredonnait-il un air connu ? Ou allait-il simplement droit dans le mur ? D'ailleurs, je me suis toujours demandé : où vont les anges qui passent ? <br /> <br /> <br /> <br />
Répondre
J
Ouf, sauvé. Pas de "notre chanson", et surtout pas de "notre chanson de la première fois qu'on s'est admirés dans l'hypermégamarché ou la quincaillerie/droguerie/charcuterie/boulangerie/ du coin qui la passait la chanson". Je respire mieux.
Répondre
R
oui enfin si ça avait pas été la chanson, ça aurait été le film qui passait au cinéma à la rue à côté de celle où on s'est rencontrés
Répondre