Les experts ami-amis
Au mois de juin, il y a des traditions. Le rhume des foins, les appels (surtout le
118 218 18), la coupe du monde (enfin pas tout le temps), le recrutement (enfin, en Helvétie), et les examens de fin d’année. Collèges, lycées, universités, examens professionnels, tous y passent.
Saison bénie où le soleil brille enfin avec conviction, où les terrasses ne désemplissent plus, où les jours s’allongent sans fin, et où les jupes raccourcissent enfin.
Saison maudite où la jeunesse s’enferme derrière des stores baissés pour ne pas succomber à la tentation, goûte l’amertume d’une boule au ventre permanente, et se bourre le crâne au lieu de la gueule.
Combien de mois de juin ai-je passés ainsi, je ne sais plus. C’est fini depuis 7 ans.
Et voilà que ça recommence. Examens oraux de fin d’année dans une école de commerce, pour la « maturité » (c’est comme le bac, mais en vrai en Suisse).
Cette année toutefois, pas de boule au ventre, pas de stores baissés. Pour une journée, je suis passé de l’autre côté du pupitre. Je suis retourné dans les couloirs d’un collège sans petite fiche à réviser au dernier moment, sans écouter AC/DC à fond dans le walkman (NdlR pour les djeunz qui passent des examens : walkman = dispositif transportable du XXème siècle permettant d’écouter de la musique stockée sur bandes magnétiques) pour rentrer dans la salle avec le couteau entre les dents, et sans mon t-shirt fétiche porte-bonheur que je ne laverai pas jusqu’à la fin de la session.
Expert… Presque comme dans la série télévisée, mais sans Miami.
C’est sérieux ça. Il me l’a dit mon copain le prof que je vais assister : on est pas la pour déconner, mais il y a de quoi faire des bons rires. Tous les quarts d’heure, ça change : des grands, des chevelus, des petits, des frimeurs, des blondes, des pâles comme la mort, des gros, des rasés, des timides, des qui sont vraiment pas gâtés, des avec l’œil vif comme un veau en pleine rumination, des stressés, des trop à l’aise, des verts de trouille, et des pas mûrs.
Il y a ceux qui rentrent les yeux baissés, comme s’ils étaient dans la cour, lieu de toutes leurs souffrances et humiliations, et qui demandent d’une voix chevrotante s’ils doivent tirer une question. Ceux-là, tu n’oses pas trop les torturer, c’est déjà leur quotidien.
Il y a celle qui rit avant même d’entrer, sourire sur-rire de gêne et de séduction mêlées, qui ne trompe personne, et que seule une fille de 18 ans au pied du mur sait faire.
Il y a les silences qu’on prend un malin plaisir à ne pas combler tout de suite, en se remémorant nos propres silences d’antan. On prenait l’air concentré, essayant de réfléchir, alors qu’en fait on ne pensait qu’une seule chose, comme lui aujourd’hui, « mais putxxx c’est quand qu’il va me la tendre cette perche ce con », pour finalement soupirer un « ah oui », d’un air pas du tout convaincu.
Il y a ceux qui rament avec autant d’acharnement qu’un kayakiste lancé à la poursuite de saumons remontant une rivière, et qui tentent toutes les réponses possibles, même les plus improbables, espérant que leur flou se perde dans le trouble des remous qu’ils font. Mais malgré leurs efforts, ils se prennent tous les rochers, et le kayak se retourne sans cesse. A bout de souffle et ils boivent la tasse.
Il y a celle, oui, celle, car seule une fille peut faire ça. Celle qui maîtrise son sujet, mais qui hésite juste sur un petit détail, et qui finit par trouver la réponse d’elle-même avec un petit coup de pouce souriant. Mise ainsi face à ses lacunes qu’elle estime incommensurables, elle fondra en larmes avant même de passer la porte, avec la note maximale.
Enfin il y a en a qui coulent à pic, encore plus vite que le Titanic, et sans l’orchestre. On les voit se débattre sans grande conviction dans l’eau glacée, attendant simplement leur libération. On leur tend des cordes, des bouées, des chaloupes de sauvetage, des perches que Bubka leur envierait, on se transforme presque en Moïse pour écarter les flots et essayer de leur permettre de donner une réponse. Juste une. Mais non, l’esprit ailleurs, ils se laissent couler, souriant de dépit pour certains, ironiques envers nos efforts pour les uns, indifférent à tout ce qui peut leur arriver pour les autres.
Les vacances c’est pour bientôt. Qu’importe le reste, non ?
« Flashback » pas si back, par Arpenteur, au tableau depuis 1971
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